Aux élus municipaux, au maire Labeaume et à M. Dallaire,
Nous sommes un groupe de 218 étudiants en architecture et en design urbain de l'Université Laval et, en tant que futurs professionnels dans les domaines du design et de l'aménagement urbain, nous tenons à manifester nos préoccupations envers le projet Le Phare. Il est clair que nous sommes enthousiasmés à l'idée que la Ville de Québec, entrepreneurs immobiliers et hommes d'affaires aient à coeur le développement du secteur ouest de la ville. Cependant, au-delà du débat sur l'esthétisme de l'architecture, nous sommes préoccupés par la manière dont cet investissement se manifeste, s'opère et prend forme. Nous sommes d'avis qu'une consolidation «horizontale» du boulevard serait plus bénéfique pour la ville, ses citoyens et le caractère urbain qu'une tour située à la limite de l'axe du boulevard Laurier.
Nos années d'études en architecture nous ont enseigné à penser et concevoir la ville et les bâtiments qui la composent de manière intégrée. Cette formation rigoureuse vise d'abord et avant tout à nous apprendre que la réussite d'un projet d'architecture se trouve non seulement dans sa mise en forme, mais aussi dans son adéquation avec le milieu urbain dans lequel il s'inscrit et dans les relations qu'il entretient avec les gens qui y habitent. On nous apprend à concevoir l'espace urbain à une échelle humaine, c'est-à-dire en priorisant le confort et la sécurité des occupants et des piétons dans la ville. En observant le succès des centres urbains de plusieurs grandes villes (New York, Vancouver, San Francisco, Montréal...), un point commun est perceptible: la piétonnisation. Ces villes contemporaines ont compris que le développement ne passe plus par l'unique érection de tours détachées de leur contexte urbain, mais bien par la mise en relation viable et durable entre usagers et structures du quartier avoisinant. C'est l'orientation que la ville de Québec avait clairement énoncée dans son Programme Particulier d'Urbanisme (PPU) du plateau Ste-Foy, élaboré à l'issue de nombreuses consultations citoyennes. Or, on semble maintenant balayer du revers de la main ces orientations visant à transformer le boulevard Laurier en véritable boulevard urbain à échelle humaine au profit du premier édifice à construire. Mais où se situe la limite entre le rêve d'une ville dynamique et effervescente réfléchie collectivement et le délire de rayonner et d'être vu «à tout prix»?
Le milieu professionnel représente pour nous le champ des possibles: contribuer au paysage et à l'image de notre ville; améliorer les espaces publics et les services offerts par la consolidation de l'environnement bâti; bonifier la qualité de vie par des interventions sensibles pour réaliser plus que de simples bâtiments, mais de réels milieux de vie pour ses occupants. En ce sens, le projet Le Phare, tel que décrit par le groupe Dallaire, évoque le rêve d'être un signal pour la ville, un nouveau symbole identitaire pour la population. Cependant, ce rêve ne coïncide pas avec la vision dont nous rêvons pour notre ville et encore moins avec celle réfléchie par les citoyens et les professionnels dans le cadre du PPU. Loin de penser que Québec n'a pas de quoi rayonner en tant que ville nord-américaine, nous pensons justement qu'elle a beaucoup plus à offrir qu'une tour de verre comme tellement de villes anonymes. La ville de Québec possède déjà une identité architecturale forte et reconnue au patrimoine mondial de l'UNESCO. Plutôt que de cultiver l'envie d'une seconde image de marque pour la ville, ne devrions-nous pas plutôt d'abord penser à la consolider : construire la ville sur la ville plutôt que de surdensifier un îlot situé à la limite de l'axe du boulevard Laurier?
La hauteur et ses impacts
La requalification d'un secteur entier nécessite beaucoup plus qu'un seul projet d'architecture, elle est le fruit d'efforts concertés et d'une vision globale de l'aménagement. La concentration de l'offre commerciale et résidentielle du Phare risque, plutôt que d'agir comme vecteur de développement pour tout l'axe du boulevard Laurier, de retarder la venue de nouveaux projets qui participeraient à sa transformation. Ce n'est pas seulement une question de hauteur que nous soulevons ici, mais la question de l'apport du projet à la ville et à ses occupants. La construction en hauteur nécessite une maturité de la ville, elle est un moyen de densifier verticalement et de prolonger dans le temps le développement économique et social d'une ville. Les gratte-ciels sont la réponse des grandes villes au manque d'espace, Québec ne manque pas d'espace. Ce dont elle manque, toutefois, ce sont d'espaces publics de qualité où l'on se sent confortable et en sécurité. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme M. Dallaire, la surdensification d'un seul îlot ne contribuera pas à résoudre la problématique de l'étalement urbain à Québec.
Pour une ville horizontale
Prenons la problématique d'un autre sens. On veut construire des mètres carrés, soit. Et si on considérait le fractionnement des fonctions et leur relocalisation tout au long du boulevard Laurier? La proposition du Phare serait alors beaucoup plus durable, bénéfique et inclusive à long terme. Ce faisant, le gratte-ciel, redistribué à l'horizontale, participerait à la dynamisation du boulevard en favorisant la vie piétonne et en créant un milieu de vie urbain recherché. Nous constatons que sa configuration actuelle, son introversion et sa localisation le gardent à l'écart des embryons de vie urbaine actuellement observables dans ce secteur : le projet du Phare est davantage un délire architectural, un bunker surplombé d'une tour démesurée. Alors qu'elle se propose comme une belle réussite, la place publique située au coeur du projet est une occasion manquée : peu visible depuis la rue, où se trouvent piétons et usagers, elle participera difficilement à l'animation urbaine. À cet égard, une passerelle surélevée ne correspond pas à une réponse urbaine contemporaine visant l'accessibilité des espaces.
En tant qu'étudiants et futurs architectes, nous souhaitons voir des projets créant une étincelle, stimulant le développement, des projets rassembleurs symbolisant l'identité la ville. Nous soulignons le désir des promoteurs de s'investir dans la ville, mais souhaitons-nous que l'image de notre ville soit déterminée par une poignée d'hommes d'affaires, alors qu'on s'était pourtant doté d'une vision d'ensemble au sein du PPU?
Comment peut-on rêver d'audace et d'une vision structurante à long terme alors que l'on confie la conception d'un projet d'une si grande importance à des architectes oeuvrant au sein même de la compagnie immobilière qui le finance? Cette étanchéité dans le processus de conception démontre une fermeture de la firme face aux volontés citoyennes et à l'effervescence du milieu architectural. Nombreuses sont les firmes d'architecture québécoises et canadiennes faisant rayonner la profession par leurs projets d'envergure exceptionnelle, à l'avant-garde de la pratique en architecture et en design urbain. Il s'agit donc d'une occasion ratée.
Le rêve n'est plus, ce n'est que du délire, après New York Délire (Koolhaas, 1978), Québec Délire.
Le projet Le Phare, tel que soumis par le Groupe Dallaire le 18 février dernier, propose de transformer définitivement le caractère de la ville de Québec, en plus de son image. Ses impacts dépassent sa seule présence architecturale. Par son échelle démesurée, sa composition architecturale datant d'une autre époque, et le manque de transparence vis-à-vis la réglementation en place, le projet se dissocie du tissu urbain qui l'entoure. Cependant, l'investissement annoncé sur le boulevard Laurier fait rêver de projets créatifs et innovateurs qui auraient le potentiel de faire rayonner la ville de Québec par son innovation architecturale et urbaine. Nous avons la conviction qu'un tel projet d'investissement détient le potentiel de devenir un projet moteur, rassembleur et générateur de fierté urbaine pour la communauté architecturale de Québec, les citoyens, l'administration municipale et ses promoteurs. Mais pour se faire, nous croyons fermement que le projet doit se baser sur une vision collective de l'avenir de notre ville. Cela passe par des concours d'architecture et de design urbain, par une écoute face aux préoccupations du milieu et par l'humilité dont doivent faire preuve les plus grands dirigeants.
C'est peut-être votre terrain, mais c'est aussi notre ville. Laissez-nous en rêver avec vous!
Vincent Morissette, designer Urbain, M.Arch, Candidat à la M.Sc.Arch - D.U.
Marie-Noël Chouinard, designer urbain, M.Arch, Candidate à la M.Sc Arch
Etienne Coutu Sarrazin, designer urbain, M.Arch, Candidat à la M.Sc Arch
Audray Fréchette-Barbeau, candidate au B.Sc.Arch
Laurence St-Jean, B.Sc. Arch, candidate à la maîtrise simultanée à la M.Arch et à la M.Sc.Arch
218 étudiants de l'école d'architecture de l'Université Laval
Marie-Jeanne A Côté, Najate Abdul-Hadi, Cynthia Aleman, Yoursa Alimat, Florence Asselin, Yannick B. Pelletier, Emma Babineau, François Bail-L'heureux, Cmille Baillargeon-Côté, Catherine Barma, Véronique Barras-Fugère, Dominique Barriere, Guillaume Beaudet-Riel, Maryse Béland, Moussa Belkacem, Emanu Bernard, Philippe Bernard, Virginie Bernier, Étienne Bernier-Côté, Sophie Bersot, Joël Bertrand, Sophie Binette, Kevin Biot, Janick Biron, Maude Blanchet, Caroline Boivin, Alexis Boivin, Pascale Bornais-Lamothe, Clémentine Bory, Anthony Bouchard, Catherine Bouchard, Jean-Nicolas Bouchard, Valérie Bouchard, Florence Bouchard-Bédard, Simon Bougault, Antonin Boulanger-Cartier, Anais Bourassa-Denis, Julie Bradette, James Nicholas Brillon, Andrée Brunet, Cormier Cantin, Sarah-Ève Canuel, Jeanne Careau, Hélène Caron, Alexandre Carrier, Pierre-Louis Chamberland, Elisabeth Charron, Isabelle Chartier-Prévost, Gala Chauvette-Groulx, Camille Chevarie-Guay, Stéphanie Chiasson, Marie-Noël Chouinard, Maude Chouinard, Rollande Cinéas, Nicolas Cloutier, Jessica Collin-Lacasse, Mathieu Cossette, Alexandre Côte, Charlène Côté, Florence Côté, Angela Coulombe, Étienne Coutu-Sarrazin, Catherine D'amboise, Luc-Olivier Daigle, Geneviève Deguire, Ann-Sarah Demers, Gabriel Demeule, Pierre-Olivier Demeule, Benoit Dendoncrer, Vincent Deslauriers, Clémentine Dufaut, Karianne Duquette, Jérôme Duval, Yuki Emond, Rosemarie Faille-Faubert, Laurie Feeney-Comtois, Steve Fortier-Evers, Yannick Fortin, Elsa Fraisse, Audray Fréchette-Barbeau, Lysanne Garneau, Tania Paula Garza,...